20.09
2012 Activités

L’ancêtre du ski alpin, inventé en Norvège au XIXe siècle, a été décapé par la glisse moderne 150 ans plus tard. Ceux qui glissent en pliant le genou le savent : le télémark est l’engin ultime pour la montagne. Explications.

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L’ancêtre du ski moderne n’est pas né dans l’une des grandes nations alpines (Suisse, Autriche, Italie ou France)... mais en Norvège, dans la province du même nom : le télémark n’est autre que la mère de toutes les glisses sur deux patins. Tout est venu d’un charpentier norvégien de quarante ans, Sondre Norheim. L’homme est inventif et un problème se posait à lui : pour descendre de son chalet jusqu’au village de Morgedal, une forte pente le défie. Il se construit alors des lames de bois et, grande nouveauté, imagine de plier le genou pour tourner : les skis se trouvent en phase de convergence prononcée, entraînant un pivotement complet. Sondre réalise alors le premier virage de l’histoire du ski moderne. Pour compléter le package, il invente une taille de guêpe pour faciliter les virages et des fixations en lanières en cuir. Peu de temps après, il se rend au concours d'Iverslokken le 8 février 1868, qu’il domina outrageusement. La nouvelle de ce ski révolutionnaire se répand rapidement à travers l’Europe qui, à cette époque-là, ne sait pas encore skier.

Mais à force de réflexion, d’autres génies (comme Emile Allais qui a théorisé la méthode du Christiania pur aval, imaginé dans cette autre région de Norvège, plus riche et rivale du Télémark) inventent la technique alpine : les deux talons fixes et un virage skis parallèles. Plus aisée, cette méthode évince du blanc paysage le télémark dans les années 20.

L’attente est longue avant que celui-ci ne ressorte des cartons de souvenirs dans les années 80, aux pieds d’une bande d’Américains du Colorado qui ont découvert une vieille carte postale dans une malle. Après des dizaines d’années de blanc, le télémark revient en Europe, par la Suède d’abord, puis la Norvège, où se trouve encore aujourd’hui la plus grande concentration d’adeptes de la génuflexion (avec les États-Unis). Les meilleurs athlètes ont longtemps été les Norvégiens qui s’accaparaient tous les podiums des Coupes du Monde et Championnats du Monde. Cette hégémonie a fini par s’effriter, les Suisses, les Américains, les Slovènes, parvenant à mieux s’organiser.

David Magnat, le nouveau président de la commission télémark de la FIS (Fédération internationale de ski), affiche d’ailleurs avec fierté 2,5 millions de pratiquants dans le monde (dont 3 à 4% en compétition), et même des champions de ski alpin comme Franck Piccard, Carole Montillet ou Hermann Maier avouent durant leur loisir tâter de la génuflexion.

Les stations “télémark-friendly” sont souvent celles qui hébergent une grande population de nordiques (comme Chamonix) et celles qui possèdent un grand domaine de hors-piste, la poudreuse agissant comme un aimant sur les passionnés : Alagna en Italie, Verbier en Suisse, Sankt-Anton en Autriche, Whistler-Blackcomb au Canada.

L’esprit de la glisse

“L’objet est parfait sur piste damée, en poudreuse, pour la randonnée, il est à l’aise sur toutes les qualités de neige”, explique Sébastien Portaz, télémarkeur savoyard depuis six hivers et grand spécialiste de l’engin. Avec le télémark, tout est possible : piste damée veloutée, poudreuse matelassée, grosse pente engagée, sauts freestyle et même montée en randonnée avec des peaux de phoque. Que du bonheur pour les glisseurs modernes qui aiment s’attaquer à tous les types de neiges. Les Américains l’ont bien compris qui depuis toujours associent télémark et randonnée (le fondateur de la marque Patagonia, Yvon Chouinard, est un inconditionnel de la discipline). Le seul magazine 100% télémark du monde est d’ailleurs américain : "Telemark Skier".

Pour autant, le télémark n’est pas à la portée du débutant, “il restera élitiste par la puissance musculaire demandée aux jambes et par la précision technique, le toucher de neige qu’il nécessite”, analyse Seb, et les premières réactions, à la vue d’un télémarkeur, résument le défi : "c’est beau, mais ça doit être physique". Oui, pourtant le jeu en vaut la chandelle, et se cramer les cuisses est l’étape initiatique obligatoire pour accéder à des sensations uniques, notamment en poudreuse, “le gros morceau du télémark, poursuit Seb, il faut jouer avec la portance de la neige, être plus vigilant, avoir un toucher de neige plus fin”.

C’est dans la profonde que le télémark rejoint le snowboard, couplant une liberté de mouvement jouissive (les chaussures sont souples), un contact avec l’élément très intime et la fluidité du geste. “Notre pratique en Italie est beaucoup plus puriste dans le mouvement, nous sommes plus bas sur les appuis pour une plus grande amplitude”, ajoute Guido, freerider des Dolomites. Le corps monte et descend au rythme des virages, on peut d’ailleurs parler de danse, le télémarkeur “avale” littéralement le terrain avec tout son corps comme un ressort bien huilé. C’est beau mais physique !

Nouveau matériel et nouveaux pratiquants, à force de courbettes, le télémark s’est fait une place confortable et unique dans l’univers de la glisse. Il n’y a qu’à voir le Français Baptiste Rousset, 24 ans, sauter dans un half-pipe ou envoyer un saut en poudreuse, les talons libres, pour comprendre ce qui a changé depuis Sondre Norheim et comment le télémark s’est adapté au “ride” moderne. “On me dit que le télémark est un sport de vieux, ce n’est pas vrai . Je le pratique à la sauce moderne avec des skis larges, en tapant des grandes courbes. Le télémark est plus facile grâce à l’évolution technique du matériel”, poursuit Baptiste. Dans un monde alpin dédié au talon fixe, il promène son aisance coulée en dépoussiérant cette ancestrale technique nordique, en la décapant au freeride et au freestyle. Un style qui fleurit  “surtout en France et en Suisse romande, deux pays qui se ressemble dans leur pratique”, explique Dominique, skieur du Valais. Le nouveau télémark aurait certainement plu à Sondre Norheim qui, sur une photo d’époque, saute un toit enneigé, les skis écartés, le sourire aux lèvres. La boucle est bouclée.

France Montagnes : télémark

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Par Thomas Berger / Free Presse

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