22.10
2012
Style
Franck Buet fait partie d’une espèce en voie de disparition : il lutte âprement pour préserver l’une des dernières ardoisières de France. Les « 7 Pieds » extraient la pierre de Morzine, la célèbre ardoise, l’un des plus puissants symboles du chalet haut-savoyard tel qu’on le rêve. Si le travail ne manque pas – signe de l’engouement d’une clientèle soucieuse d’utiliser des matériaux de grande qualité et d’une noblesse incontestée – les soucis proviennent de l’anthracite pierre elle-même. Parce qu’ici comme ailleurs, c’est toujours la nature qui décide in fine.
L’ardoise de couverture estampillée Morzine est de retour ! Si l’ardoisière des « 7 pieds » a toujours proposé de la pierre de pays, d’une provenance garantie « made in Portes du Soleil », une rumeur la donnait moribonde. Or c’est seulement pour les toits que la matière première locale n’était plus utilisée. C’est que l’extraction de la pierre n’est pas une « science » exacte : comme souvent en montagne, il faut s’adapter à la nature, même si elle nous contrarie parfois ! « Nous sommes tombés sur un filon particulier et j’ai du effectuer un virage à 90° et me mettre à importer de la pierre d’Italie ou du Brésil, pour compenser et continuer à faire tourner ma boutique. D’où la confusion», nous éclaire Franck Buet, propriétaire de l’ardoisière des « 7 pieds ». « L’ardoise de ma carrière, striée ces dernières années de « poils », ne pouvait servir qu’à la décoration, pas à la couverture des toits de pays. »
Responsables de la pénurie passagère, donc, ces « fils » blancs le long desquels la pierre se fend sous l’effet du gel et du réchauffement. Là où il fallait auparavant plusieurs mois pour excaver et écouler le stock d’ardoises « poilues », quelques semaines suffisent aujourd’hui. Une prouesse rendue possible par la haveuse de galerie que vient d’acquérir Franck, qui n’a jamais fait appel à l’explosif pour exploiter les ressources. Trop dangereux, trop imprécis, trop « déchiquetant » alors que le câble diamanté permet, lui, de scier l’ardoise au rocher proprement, « comme dans du beurre ».
Matière à… tout !
Installé depuis quelques années déjà dans un atelier conçu spécifiquement (après avoir passé quinze ans dans une écurie non isolée), Franck et son salarié transforment une partie des quatre-cents tonnes de matière extraites annuellement. Crédences sur-mesure, plans de travail, vasques de salles de bains, habillages de douche, aménagements de jardin ou de piscine, bancs de massage, dallages, arts de la table, objets de décoration, pierre de soutien de poëles à granules, noms de chambres ou numéros de rue, les usages de l’ardoise n’ont de limite que la créativité des clients de Franck, particuliers ou architectes, décorateurs.
Si l’Ardoisière des « 7 pieds » propose fourniture et pose, elle se met aussi au service d’artisans ou de vacanciers. « Certains m’envoient leurs cotes par mail et passent prendre possession de la marchandise quand ils viennent en vacances dans la région. Cela plaît beaucoup aux gens de pouvoir venir ici. Commander en direct ce qui sera l’une des pièces maîtresse de leur salle de bain ou leur cuisine. » De la chute d’ardoise à un euro à 1000 m2 de couverture pour un chantier de restauration d’un monument historique, on peut envisager toutes les utilisations, il suffit de bien choisir la matière.
L’ardoise de Morzine – toujours d’un élégant anthracite - est constituée de schiste, celle du Val d’Aoste (noire), qu’importe Franck Buet, de granite un peu schisteux. La pierre locale, pas forcément toujours plane, revêt un aspect légèrement plus rustique que l’italienne ou la brésilienne. Cette dernière arbore des teintes diverses (noir, prune, gris vert ou multicolore). Quelle qu’en soit la provenance, l’entretien de la pierre, aisé, s’avère le même. Après un traitement chimique hydrofuge et oléafuge réalisé par l’Ardoisière des « 7 pieds », nul besoin de trop en faire. La pierre étant nourrie en surface, le seul incident qui puisse survenir relève de l’attaque du citron ou du vinaigre sur le traitement. Rien ne pénètre à cœur de l’ardoise, totalement étanche, contrairement au marbre ou au granite (sur lesquels on peut constater des auréoles, après une dizaine d’années d’usage).
En cas de tâche de vinaigre, pas d’inquiétude pour autant. On nettoie et on passe un peu d’huile de parafine pour nourrir le dépoli : la pierre redevient noire. « Avec l’ardoise de Morzine, on est tranquille à vie, esthétiquement parlant », assure Franck Buet. « Par contre, cela reste un matériau tendre dont il faut prendre soin. Interdit de couper directement sur la pierre, il faut utiliser une planche, évidemment. Avec ce matériau non poreux, pas de souci d’hygiène : la preuve, on sert beaucoup sur ardoises aujourd’hui. » Et c’est d’ailleurs d’ici qu’est née cette tendance forte : « Les premiers à servir sur ardoises ont été Les fontaines blanches, à Avoriaz. Des touristes passés par là en ont fait le succès qu’on connaît. Et qui fait qu’aujourd’hui, malheureusement, beaucoup de produits du genre sont manufacturés en Chine. Des objets qui n’ont absolument rien à voir avec la qualité et l’authenticité de ce que nous proposons aux 7 pieds. » La présence d’ardoise véritable se sent inévitablement : rien ne peut l’altérer, ni la température, ni l’humidité. Le matériau ne connaît pas de retrait, ne bouge pas. La preuve, les plateaux des tables de billard ne sont-ils pas faits de ce « bois » ?
Par Myriam Cornu/Free Presse / Photos : Pascal Lebeau/Free Presse