22.05
2012 Gastronomie

Pareil à Sisyphe, le viticulteur arpente son bout de rocher où la cagnasse ne cesse de rouler. Travail sempiternel qui n’a de récompense que le génie du vin. On peut la qualifier d’héroïque, cette viticulture qui s’exerce à des altitudes de plus de 500 mètres ou sur des pentes fortes de 30% et plus. Elle demande une implication de l’homme bien plus importante qu’en plaine.

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Une vieille occupation

Les plaines aux terres riches se réservaient jadis au blé et à l’orge. Les coteaux, les pentes raides, les parcelles d’altitude, avares de terrains arables, se voyaient confier une plante résistante. Une plante qui supporte la pauvreté du sol et qui dans ces conditions extrêmes donne le meilleur d’elle-même. Cette plante, c’est la vigne !

Chronique d’une délocalisation

Arrive d’Amérique, le phylloxera. Le pou suceur de racines détruit le vignoble du sud au nord en quelques années. Le vin manque. Aucun traitement ne s’avère efficace. Seule solution : le porte-greffe. Les vignobles se replantent, mais en plaine où la vigne produit plus et plus vite. Les gradins, terrasses, banquettes, délaissés, regardent s’étendre les ‘champs’ de vignes.

Le balancier de l’offre et la demande

La première surproduction arrive début du 19e siècle, les prix chutent. Vient le premier conflit mondial, les poilus boivent, mais leurs bras n’entretiennent plus les champs. La mécanisation sauve l’entre-deux-guerres. La chimie contribue à l’essor de production que demande la politique productiviste de l’après guerre, la deuxième.

Le prix du vin ne permet pas la remise en culture des pentes. D’ailleurs personne n’y songe !

D’ailleurs, il faudrait être fou

Qui irait cultiver les pentes raides ? Cette viticulture exige entre 600 et 650 heures de travail par hectare pour les endroits les plus faciles à travailler. Mais le temps exigé par les parcelles les plus ardues monte à 2.000 h/ha, pour un rendement que les conditions climatiques et la faible couche arable maintiennent congrue. En plaine, la mécanisation aide le vigneron qui n’emploie qu’une centaine d’heures pour travailler le même hectare à rendement bien supérieur.

La réinstallation  

Quelques furieux reprennent la petite parcelle familiale, les quelques arpents que l’oncle cultivait, les trois rangs auxquels on ne sait pourquoi le vieux tenaient tant. Début quatre-vingt, l’intérêt pour ces terrains ingrats mais générateurs de vins d’une qualité différente grandit. L’augmentation parallèle du prix des bouteilles permet la réalisation de l’entreprise.  

Le vigneron architecte paysager

Aujourd’hui, nombre de parcelles abandonnées depuis longtemps sont réhabilitées. Le paysage retrouve son aspect construit, son architecture paysagère, son histoire.

En outre, l’entretient des pentes est un atout primordial pour la conservation des zones de montagnes et de pentes importantes, territoires forts et austères, mais combien fragiles.

Patchwork vertigineux

 - Du côté du Mont Blanc, Ayze

Les Alpes sont riches de pentes et de falaises. De-ci delà quelques abrupts fleurissent de vignes, endroits privilégiés, souvent très bien ensoleillés où le raisin parvient à naître. Connus et moins connus, ces rares crus offrent encore parfois l’originalité du plant, tel le Gringet en Ayze. Le cépage pousse dans les argiles rouges, cône de déjection d’une ancienne cascade glacière. Ils flamboient à certaines heures, lorsque les rayons solaires les caressent à l’obtus d’un angle couchant. L’appellation Ayze, haute de 450 m, fait partie des 22 crus savoyards dont elle ne représente que 2%. Soit 22 ha voué au Gringet qui se décline en vins effervescents et tranquilles.

- Savoie, courtiser une Altesse à en avoir le vertige

Roussette, Altesse, même combat, deux noms pour le même cépage, à l’image de beaucoup de vignobles. À Jongieux, on préfère dire Altesse en Appellation Roussette de Savoie, pléonasme local. Le Cru Marestel, à prononcer sans l’esse, se dédie entièrement au cépage. Orienté plein ouest, il occupe le contrefort de la Charvaz qui regarde sur son autre face le lac du Bourget. Pratiquement à l’abandon jusque dans les années 90, Marestel est aujourd’hui cultivé sur un peu plus de 30 ha. Très pentu, à dépasser les 60%, il offre son sol calcaire marneux aux rangs serrés des Altesse plantées à 10.000 pieds/ha. Sa grappe aux baies ovoïdes passe du rose au roux à pleine maturité. Roux comme Roussette.

- Vin basque, Irouléguy,

En venant de l’atlantique, à une cinquantaine de kilomètres de Biarritz sur la route de Pampelune par la Nive, Irouléguy enfonce son enclave dans les contreforts pyrénéens. Entre St Jean Pied de Porc et St Étienne de Baïgorry, le piémont du Jarra lui fait comme une oasis. Le gros monticule, haut de 812 mètres le protège des vents nordiques et lui fait apercevoir plein sud la passe de Roncevaux. Les vignes courent le long des courbes de niveaux ou caracolent dans la pente en rangs serrés, comme un tricot ton sur ton aux mailles inversées.  Irouléguy occupe une superficie proche des 200 ha. Il y pleut 1.500 mm par an, la température moyenne avoisine les 13°C et les vendanges jouissent d’un regain de chaleur lorsque les vents venus d’Espagne se réchauffent par effet de Fœhn.

- Bugey, département de l’Ain du sud-est

L’Ain se partage entre plaines et collines, les milles étangs de la Dombes et les élevages de poulardes d’un côté, les reliefs qui dominent le Rhône supérieur d’un autre. Sur ces pentes, à la limite du Jura, en lisière de la Savoie, poussent à la croisée des chemins quelques cépages venus des régions limitrophes. L’appellation Vins du Bugey couvre environ 500 ha entre Bourg-en-Bresse et Chambéry. Sa géologie jurassique décline les sols en terres rouges pour Cerdon, en marnes et éboulis calcaires pour Montagnieu, en calcaire et glacis morainiques pour Belley. Le Rhône et l’Ain l’encadrent, le premier au sud, le second au nord. Le climat subit la double influence, maritime des remontées méditerranéennes, montagnarde des massifs jurassiques et alpins proches.  

- Douces bulles de Montagne, la Clairette de Die

La Drôme, affluent du Rhône, étrécit son cours à l’approche de Die et des contreforts du Vercors. D’assez plat et ouvert, le paysage s’encaisse, se resserrent autour de la rivière. C’est là que naît, après Crest, le vignoble du Diois, peuplé d’une multitude de parcelles. Elles s’accrochent aux éboulis des coteaux, colonisent les vallées transversales et montent jusqu’à 700 mètres d’altitude, profitants des meilleures expositions. 

- Jura, Château Chalon

Au beau milieu du Revermont, l’éperon rocheux jaillissant semble prendre son envol, spectacle impressionnant. L’aire d’appellation couvre environ 50 ha plantés de Savagnin, le cépage du Vin Jaune. Quatre communes, Ménétru-le-Vignoble, Domblans, Château Chalon et Nevy-sur-Seille, lui prêtent leurs coteaux pentus. La déclivité des versants dépasse à plusieurs endroit les 45%, montent de 250 à 400 mètres, s’orientent pour la plupart au sud et sud-ouest. Le rebord des falaises qui entourent le site protègent l’écrin viticole des vents du nord et d’est. 

- Le Rangen de Thann, Alsace du sud

Remonter le Rhin en descendant plein sud. Quelques dizaines de kilomètres après Colmar, la route des vins s’incurve sur la droite pour suivre la vallée de la Thur. Le paysage change, les collines de Cernay s’oublient, le regard s’accroche aux pentes raides qui dominent la rivière entre Vieux-Thann et Thann. Chanté depuis le moyen âge, le plus méridional des grands crus alsaciens occupe un terroir privilégié : un sol volcanique en pente vertigineuse qui atteint 90%. Les Riesling, Pinot Gris et Gewurztraminer y bénéficient d’une pluviométrie suffisante. Bien d’autres vignobles en France ou ailleurs accrochent leurs vignes à l’abrupt de leur pente…

Marc Vanhellemont

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